Pourquoi l’Église tolère-t-elle les abus?
Stéphane Vermette
- podcast
- Religion(s)
- Spiritualité
La protection des faibles et des vulnérables est supposé d’être au coeur de sa mission.
Pourtant, des scandales de toutes sortes éclaboussent toutes les Églises chrétiennes. L’histoire de Jean Vanier n’est qu’un exemple d’une absence de volonté de confronter ce fléau. Dans cet épisode Joan et Stéphane tentent de comprendre les raisons derrière l’inaction des institutions et présentent quelques bonnes pratiques pour répondre aux abus.
* Musique de Lesfm, pixabay.com. Utilisée avec permission.
Transcription:
Table des matières
Pourquoi tolérer des abus?
Bonjour, bienvenue à Question de croire, un podcast qui aborde la foi et la spiritualité une question à la fois. Cette semaine, pourquoi l’Église tolère-t-elle les abus? Bonjour Stéphane, bonjour aux auditrices, auditeurs et personnes non binaires. Bonjour Johanne, bonjour à tout le monde.
Des abus comme partout
Alors, c’est une question que je me suis souvent posée, ça. Pourquoi l’Église tolère-t-elle les abus ? Et je la rejoins vraiment cette question, je pense qu’elle dit les choses tout simplement.
Et à un moment donné, avec un sociologue que j’aime beaucoup, que je vous recommande, qui s’appelle Philippe Gonzalès, on réfléchissait ensemble à un bouquin qui n’est pas sorti, mais ça nous a fait du bien, je pense, de réfléchir ensemble.
Et on réfléchissait à la question des abus dans les églises protestantes. Parce que beaucoup de personnes disent « mais non, ça c’est un problème catholique ». Ah là là, c’est terrible. Non, c’est un problème. Point. C’est pas un problème confessionnel, c’est un problème.
Et il m’a recommandé de regarder le film Spotlight. Et dans ce film, qu’il retrace une enquête, en fait, nord-américaine, je sais plus, c’est à Chicago, je crois. Boston. Voilà, donc dans ce film, qu’il retrace une enquête à Boston, d’un journal sur la question des abus.
Eh bien il y a cette phrase incroyable qui dit, c’est vrai qu’on cite souvent ce proverbe africain, il faut un village pour élever un enfant, mais en l’occurrence il faut aussi le silence ou la complicité de tout un village pour abuser un enfant. Et pour moi, tu vois, le retour que je me suis fait à moi-même, c’est dans mon village protestant, du terreau réformé, Où est-ce que je me trouve ?
Je ne sais pas qui, parmi celles et ceux qui nous écoutent, joue parfois au loup-garou avec les jeunes. Nous, on joue à ça pour se détendre et pour finir les soirées groupes de jeunes. Et dans le loup-garou, il y a la sorcière, il y a la petite fille. Puis évidemment, il y a les loups-garous. Enfin voilà, il y a tout plein de personnages. On doit, à tour de rôle, fermer les yeux, ouvrir les yeux et on se donne des informations avec des gestes selon qui, les yeux ouverts ou fermés. C’est ça le village en fait.
Dans le village, il y a des loups-garous, il y a une petite fille, il y a aussi quelqu’un qui voit tout, une sorcière, qui sait des choses. Et quelle est ma place dans ce village protestant ? Est-ce que moi aussi, sans le vouloir, sans le savoir, je tolère certaines formes d’abus ?
La tentation de protéger l’institution
La phrase qui m’a resté dans Spotlight, je ne me souviens plus. Pas exactement des mots précis utilisés. Lorsqu’il y a eu un cas verré, il y a l’espèce de personne déléguée pour l’Église pour nettoyer un peu le tout et qui demande aux parents, voulez-vous blesser l’Église pour l’erreur d’une simple personne, pour une simple erreur.
Et ça, ça a résonné très fort chez moi parce que cette idée de protéger l’institution coûte que coûte, et de mettre l’institution plus importante que la mission de l’Église, et de manipuler les gens d’une certaine manière, de jouer sur leur foi, jouer sur leur bonne volonté, et j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de ça.
Les gens savent toujours que c’est mal, ce qui se passe, que ce soit plein de sortes d’abus, que ce soit psychologique, sexuel, mental. Les gens fondamentalement savent que ce n’est pas correct et on manipule un peu et on essaie de cacher, on essaie de balayer sous le tapis jusqu’au moment où ça explose. Ça explose parce qu’il y a trop de poussière sur le tapis, il y a trop de scandales. Et là, on se rend compte, certaines personnes, mais c’est horrible cette église.
Oui, il y a un aspect qui est horrible et pas pour diminuer les abus, Mais ce qui est également très horrible, c’est cette volonté de fermer les yeux, comme tu dis, d’avoir cette culture du silence. C’est comme commettre un abus une autre fois.
Une culte du déni devant les abus
C’est vrai que cette culture du silence entraîne en fait le déni aussi, parce que les gens le disent souvent. Je ne savais pas comment ça s’appelait ce qu’on me faisait. J’avais pas des mots à mettre dessus. Pendant très longtemps, les Églises ont failli à leur vocation en fait d’équiper les gens pour avoir une maturité, qu’elle soit tout simplement psychologique, qu’elle soit émotionnelle aussi, qu’elle soit spirituelle, tout ça est très très lié à mon sens.
Les Églises ont voulu éduquer les gens sur des choses importantes, le catéchisme, le vivre ensemble à l’Église, chanter des cantiques, mais qui pour moi devraient découler de la première éducation qui est celle au consentement.
Et c’est ce que je dis aux parents lorsque je leur présente ma salle Godly Play que j’ai à Zurich. Je leur dis, quand l’enfant arrive, on lui demande, es-tu prêt, es-tu prête ? Parce qu’un enfant qui n’est pas prêt ou pas prêt, ne pourra pas poser un consentement. Pour entendre parler de la Bible. Et je leur dis, vous savez le consentement ça doit être la base de tout le reste.
Et souvent ils me regardent avec des grands yeux écarquillés parce que lier Église et consentement c’est pas du tout quelque chose d’habituel, de classique. Moi je vois une difficulté finalement c’est qu’il y a des systèmes ecclésiaux, des systèmes qu’on a hérités quelque part de la sacralisation des clercs.
Alors il y a toujours eu des religions, des fois maintenant on les exalte, tout ce qui est New Age, etc., on exalte les chamanes, les druides. Moi ça m’étonne toujours un peu, parce qu’en vérité, chamanes, druides, tout ça c’est exactement un système de cléricalisation, ce sont des gens qui ont des pouvoirs ou des capacités spirituelles supérieures aux autres et qui créent du coup une normativité religieuse, toute une série de normes, des trucs à suivre, que ce soit danser torse nu pour la pleine lune ou que ce soit aller à l’église chanter des cantiques à genoux, c’est la même chose.
Ce sont des normes et des choses qui font qu’on cadre le religieux. Et pour moi, ce n’est pas du tout un problème. La question, elle se trouve au niveau de la hiérarchisation que ça crée.
Évidemment, s’il y en a qui sont des sachants, qui sont des clercs, qui ont la main mise sur les rituels et qui ne sont pas en capacité, en plus, de les expliquer ou de les rendre accessibles, ou qui ne souhaitent pas que d’autres y participent aussi, eh bien, on se met dans un système où il y a un risque d’emprise. Et là où il y a un risque d’emprise, il y aura forcément une confiance qui sera salie quelque part. Et ça peut aller très loin, en fait, de salir cette confiance.
Les abus de Jean Vanier
Bien sûr, lorsqu’on est de ce côté-ci de l’Atlantique et qu’on parle d’abus, on ne peut pas éviter le cas de Jean Vanier, qui a frappé l’imaginaire des gens, déçu les gens.
Et lorsqu’on déconstruit un peu tout ça, je crois qu’il y avait cette volonté, au niveau de l’Église catholique romaine, qu’un laïc puisse être canonisé. Les personnes canonisées en Amérique du Nord, c’est des fondateurs, des fondatrices d’ordres religieux.
Donc, les saints, selon la compréhension catholique romaine, c’est des clercs. Et avec Jean Vanier, qui a créé l’Arche, on se disait « Ah, voici un laïc qui a fait quelque chose de spectaculaire, quelque chose de beau ».
Et je crois qu’il y a eu un aveuglement volontaire de la part d’une institution qui n’a pas voulu voir, qui n’a pas voulu croire les rapports écrits. Il y avait des traces écrites depuis très longtemps qui parlaient de tout ce qu’on a appris dans le scandale et je ne reviendrai pas là-dessus parce que c’est vraiment scabreux tout ça.
C’est cet aveuglement volontaire de la part d’une institution qui, encore une fois, a fermé les yeux, qui a décidé de regarder dans l’autre direction parce que l’institution avait l’impression que ça rapportait, que ça moussait leur image, ça faisait avancer leur cause. Et là, ben, c’est sorti et on ne peut pas défaire tout le mal qui a été fait.
Utiliser son titre de fondateur pour abuser
D’autant que, bien que Jean Vanier soit un laïc, je crois qu’il s’est toujours positionné quand même à un endroit spécifique hiérarchiquement. Déjà, être fondateur, fondatrice, ce n’est pas peu de choses.
Moi-même, je suis fièrement la fondatrice de l’antenne inclusive de la paroisse Saint-Guillaume de Strasbourg et je vois combien, à ce tout petit niveau, des fois, ça pourrait m’apporter encore des privilèges, mais des privilèges que je refuse dans le sens où je dis oui, je suis la fondatrice, mais maintenant, il y a des personnes qui ont pris la suite et je ne suis plus détentrice de quoi que ce soit d’autre que de la mémoire.
Mais lui, il n’a jamais quitté l’Arche. Il a toujours été là autour, on s’est toujours référé à lui et c’est ce que moi je critique fortement en fait, c’est justement ça, c’est ce besoin d’avoir du pouvoir et de garder du pouvoir sur ce que tu as fondé. Pourquoi tu l’as fondé ce que tu as fondé ? Tu l’as fondé pour l’Église universelle, tu l’as fondé pour le service, tu l’as fondé parce que tu as eu un appel.
Mais si tu es vraiment cette personne qui est fondatrice, tu es aussi celle qui est capable de faire la passation. Normalement, Dieu t’équipe pour fonder, pour passer ou pour fermer. Des fois, il faut fermer ce qu’on a fondé, ce n’est pas grave.
Mais en fait, tout ça, ça s’inscrit dans des systèmes ecclésiaux qui sont pensés à l’intérieur du patriarcat et qui sont peu enclins à se déconstruire. Parce que se déconstruire, justement, ça veut dire perdre des privilèges.
Je te donne un exemple, un tout simple. Là, j’ai vu dans Réformes, je sais que tu lis Réformes, le journal protestant français. J’ai vu qu’il y avait un petit article et que ça parlait de l’antenne et c’est une des jeunes femmes qui a pris la suite, qui s’est exprimée. Je lui ai tout de suite écrit pour lui dire franchement, je suis trop contente. C’est très chouette qu’on continue à parler de l’antenne. Et c’est ça qui doit compter, c’est les œuvres qu’on fonde, c’est pas la personne.
Moi je suis très critique envers cette façon très patriarcale de vouloir avoir toujours des figures de proue, c’est ça, des petits messies. Moi je déteste ça les petits messies, il y a un grand messie et puis tout le reste on le suit, on essaye de faire de notre mieux. Et puis je vois une autre.
Pourquoi l’église tolère-t-elle les abus ? Parce que les églises elles ont du mal à être prophétesses. Alors je ne parle pas des paroisses, là je parle des institutions avec le grand E, pas mérité d’ailleurs ce grand E.
Et finalement souvent les Églises tolèrent les mêmes injustices qui sont tolérées en société. Je te donne un exemple frappant. Dans mon église de régime, l’UEPAL, quand j’allais militer pour la bénédiction des couples de même genre, très souvent les personnes qui étaient hautes placées dans l’institution me disaient « on y réfléchira quand l’État l’autorisera ».
Donc ça veut dire quoi ? On va nous réfléchir à cette injustice, comment la corriger en Église, une fois que l’État aura corrigé cette injustice, c’est n’importe quoi. On peut réfléchir sans avoir l’aval de l’État. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Les Églises néerlandaises réformées ont autorisé la bénédiction des couples de même genre avant que ce soit autorisé dans la société. Toutes libérales et tout ça qu’elles soient, elles ont su avoir ce geste de foi. Et donc là, c’est pareil avec les abus. C’est toléré aussi parce que les Églises n’arrivent pas à être prophétesses.
L’impunité accordée aux mauvaise personnes
Tu parles des petits messies. On leur donne également une espèce d’impunité. Ça vient avec très souvent. Et le langage est important. Le langage façonne la façon de voir.
Tu parlais du Godlyplay, on demande aux enfants, es-tu prêt juste de le verbaliser? Ça crée quelque chose. Mais le contraire aussi crée quelque chose.
Je remarque que lorsque certaines personnes en position d’autorité dans les Églises, peu importe la saveur, la couleur ou la déclinaison, ces personnes des foi vont parler de la justice des hommes versus la justice de Dieu. Oui, je comprends que Dieu juge les personnes différemment que nos cours de justice peuvent juger. Mais aussi, ce que ça amène, c’est que nous ne sommes pas redevables à la justice des hommes, nous sommes redevables à Dieu. Donc, ces lois, ces normes, ça ne s’applique pas vraiment à nous. on s’arrangera avec Dieu, on s’arrangera entre nous, grands bonzes des Églises.
On dit ces choses-là, on ne s’en rend pas compte. Parfois, on ne les réfléchit pas. On répète machinément ce qu’on nous dit.
Mais lorsqu’on prend un pas derrière ou un pas de côté, on se dit, mais là, ça ne va pas. Ce n’est pas sérieux. Une personne qui réfléchit normalement, Je peux pas accepter ça.
Le problème de la diminution de l’importance des abus
Il n’y a pas longtemps, j’ai eu une discussion avec un collègue à propos d’un autre collègue. On n’a pas besoin de rentrer dans les détails, mais le collègue en question avait pour le moins des gestes inappropriés avec des catéchumènes il y a à peu près une vingtaine d’années. Alors moi, je m’affole, je lui dis « écoute, il faut faire quelque chose, il faut en parler, le type est encore plus ou moins en exercice, etc. »
Et puis, Le collègue me dit « Oh, est-ce que c’est si grave ? » Je lui dis « Ouais, si quand même ». Et puis après, tu sais, la parole couperait, quoi. Il me dit « Oh, c’était il y a longtemps ». Et ça aussi, c’est une très grave erreur que font les églises.
Et d’ailleurs, les Églises nord-américaines, actuellement, sont en train de mordre la poussière parce qu’à force de dire « C’était il y a longtemps », ben maintenant, tout le monde doit payer des amendes monumentales. Et donc, il y a des tas d’endroits qui sont en train de fermer.
Là, j’ai appris que par chez vous, il y a je ne sais quel service qui fonctionnait très, très bien, francophone, du côté catholique, qui a dû fermer, mais presque du jour au lendemain. Oui. Mais pourquoi? Mais parce qu’ils sont tous en banqueroute. Et c’est eux-mêmes qui se sont mis dans cette situation en disant « ouais, mais c’était il y a longtemps ». Et ça m’énerve et ça me rend folle. Et comme ça m’énerve et ça me rend folle, généralement, je viens toujours amener mon petit grain de sel là où je peux.
Le choix de la communauté de Taizé de confronter les abus
J’aimerais parler d’un exemple positif, quelque chose qui m’a touchée. Quand on était à Taizé au mois d’avril, ce lieu de pèlerinage et de rencontre des jeunes en Bourgogne, fondé par Frère Roger, au sujet duquel peut-être un jour il y aura aussi un certain nombre de questions qui se poseront sur son mode de gouvernance, qui a fait qu’un certain nombre de frères n’ont jamais été inquiétés.
Alors, je rassure tout de suite les auditrices, auditeurs, on n’est pas sur du Jean Vanier et compagnie. On est sur des frères, dans une communauté qui accueille certaines semaines jusqu’à 5000 jeunes.
On peut imaginer les milliers de jeunes accueillis à Taizé, sur des frères qui n’avaient reçu aucune éducation à l’émotion, à la sexualité, et aucune consigne pendant très longtemps sur la façon dont on se comporte avec des jeunes qui peuvent faire un transfert sur vous. Et cette situation a fini par exploser.
Mais ce qui est formidable avec les frères de Taizé, je dois dire là où je pose mon admiration malgré tous les questionnements que j’ai autour de ce qui s’est passé, c’est qu’on a tout de suite reçu des emails d’informations, avant même que ça ne sorte dans la presse. On a tout de suite reçu des explications, des tentatives d’explications qui n’étaient jamais des tentatives fermées, mais toujours des façons de porter sur le devant de la scène leur questionnement interne.
Et lorsqu’on fait une semaine à Taizé, on peut assister au workshop sur la situation à Taizé actuellement concernant les abus spirituels et sexuelle. C’est comme ça que ça s’appelle. C’est vraiment un workshop où il y a un frère dont on sent que ça le pèse un peu. Le frère vient, il dit bah voilà, alors par rapport à tel cas, on en est là.
Tel frère est devenu tellement vieux et malade qu’on a proposé à la justice d’en prendre soin nous-mêmes. Donc il ne vit plus sur place, mais il est plus bas dans le village, il est surveillé électroniquement. et c’est nous qui prenons soin de lui parce que c’est notre frère et c’est notre responsabilité. À propos du troisième cas, on lui a demandé de retourner dans sa famille jusqu’à ce que le procès ait lieu.
Enfin, c’est incroyable, c’est-à-dire qu’ils essayent d’être transparents, ils se dévoilent devant toi. Et là je dis, si tout le monde pouvait s’aligner sur ce minimum de décence que met en place cette communauté de frères, c’est une difficulté en plus d’être que des frères, et ça je le leur ai dit, je serais déjà contente.
Ensuite j’aimerais dire, qu’à un moment donné, j’ai posé la question au frère, ce brave homme qui portait sa croix. Je lui ai dit, écoutez, ça fait 25 ans que je viens là, bientôt 30. Il y a toujours eu des murmures. Attention, ne va pas avec tel frère en discussion individuelle. Il y a toujours eu des murmures.
Comment ça se fait que vous n’ayez pas été en capacité d’écouter ces murmures? Il m’a dit, écoute, quand on vit tous ensemble à 80 ou à 100, il y en a qu’on trouve bizarre. Mais on se dit bon bah les gens sont bizarres, lui il est bizarre comme ci, moi je suis bizarre comme ça. J’ai pas de preuves. Et évidemment quand on n’a pas mis en place des stricts protocoles, on n’a pas de preuves. Il a dit mais on a appris de nos erreurs.
J’ai beaucoup aimé. À la sortie du workshop, il y a un pasteur qui était là, d’une Église francophone qui a dit « Oui, mais tu vois, Joan, ta question avec les murmures, ça m’inquiète. » Attention Stéphane, là tu vas péter une pile, parce que figure-toi que ces murmures-là peuvent devenir des ragots et porter préjudice à nos collègues. Ben oui, ben oui.
Et ce que j’ai trouvé formidable, c’est que ce pasteur était en compagnie de jeunes engagés dans son Église et c’est eux qui lui ont répondu et ils l’ont recadré direct. De dire, en fait, le problème, c’est pas d’écouter des murmures et de penser que c’est des ragots.
Le problème, c’est de ne pas les écouter, de ne pas les prendre au sérieux. Parce que du coup, comme vous ne nous prenez pas au sérieux, on ne viendra plus jamais vous raconter des choses et vous n’entendrez que des murmures. Et du coup, vous pourrez appeler ça des ragots, forcément.
Donc c’était vraiment passionnant et je remercie beaucoup la communauté de Taizé de nous avoir montré ce chemin d’ailleurs. Entre-temps, les communautés de l’Église protestante Unie de France et les Églises de l’UEPAL, l’Union des églises protestantes d’Alsace et de Lorraine, ont sorti leur brochure dans une tonalité tout à fait juste qui nomme les choses et surtout qui fait une grande place aux personnes victimes et survivantes.
Il y a eu un avant, on est dans l’après et j’aimerais apporter ce message d’espoir de dire qu’on a appris quelque chose pour celles et ceux qui nous écoutent, qui ont été victimes, qui sont survivantes. Votre combat, vos témoignages ne sont pas en vain, on a appris et on doit encore s’améliorer beaucoup.
Écouter les ragots et les murmures
Tu parles de murmures, de ragots. Ça me fait penser, durant les années 40-50, au Québec, l’Église catholique romaine était toute puissante. Et j’ai vu certains sketchs qui datent de cette époque où, justement, on fait référence à ces ragots, à ces murmures. à mots couverts parce qu’on ne peut pas s’attaquer à une institution toute puissante, mais des références à certains prêtres qui aiment bien passer du temps avec les petits garçons, les enfants de chœur, des choses comme ça.
Et parfois, je regarde ça, mais je me dis que c’était peut-être la seule résistance qui était capable. de dire on n’est pas dupe, on voit, on n’a pas le pouvoir de s’attaquer à l’institution, on n’a pas les ressources, mais on vous voit et on sait.
Et ce qui est triste, c’est que les choses ont continué jusqu’au moment de l’éclatement. Et oui, il y a toujours ce réflexe-là, comme tu parles de ce pasta français. Non, il faut faire attention.
Je me souviens Dans les années 2000, j’étais un membre de l’exécutif national de l’Église Unie du Canada et c’était le début des scandales sexuels reliés aux pensionnats amérindiens que l’Église Unie du Canada, comme plein d’autres Églises, menée au nom du gouvernement canadien dans une tentative de génocide culturel, et il y a eu des abus de toutes sortes, sexuels, physiques.
Et la réaction de certaines personnes, c’était la position du combat. On va se protéger, on va faire ça. Il y a des personnes, et je suis heureux que c’est cette position-là qui a quand même dominé. C’est-à-dire, non, on le fait, on le fait en tant qu’institution. On ne peut pas nier notre passé. Ça fait partie de qui nous sommes en tant qu’institution. Peut-être que nous, personnellement, on n’a rien à se reprocher, mais ça a été fait. Le mal était fait, l’abus était fait. Il faut reconnaître nos torts.
Et il y a eu un processus de réconciliation avec les peuples autochtones. Ça a pris beaucoup de temps. Certaines personnes ont été choquées parce qu’on a présenté nos excuses. Les Autochtones ont fait «ok ». Ils n’ont rien dit d’autre. Les gens pensaient qu’on présente nos excuses, on se serre la main, c’est fini. Non, non. Il y a un processus de réconciliation qui est encore en cours après toute ces années.
Tout ça pour dire que, un peu à l’exemple, tu parlais de Taizé, ça fait mal de reconnaître ses torts, ça fait mal de reconnaître qu’on s’est fermé les yeux institutionnellement, mais je crois que c’est la seule voie de sortie qui permet une reconstruction. On va faire face aux conséquences de nos actions et surtout de nos inactions. Je crois que c’est la seule chose à faire après toutes ces années à vivre dans le déni.
Conclusion
C’est la seule chose à faire et pour celles et ceux qui nous écoutent, c’est ce qu’on continuera à faire. Merci pour votre confiance en tout cas. Et parlez. Je sais qu’on rejoint des gens de différentes Églises. Je vous souhaite le courage de dénoncer, de parler, de libérer la parole, de créer des espaces sécuritaires pour que cette parole puisse exister.
C’est jamais trop tard, il n’y a jamais trop longtemps pour que les choses changent. Il faut que les choses changent, justement. Vous pouvez compter sur nous en tout cas si vous avez besoin de libérer cette parole. On est tous les deux des pasteurs, on peut vous orienter vers des collègues de confiance.
Alors merci beaucoup de nous écouter, même quand le sujet est difficile comme aujourd’hui, mais on fait une place vraiment à toutes les questions qui nous viennent et on essaye d’honorer justement la confiance qu’on nous donne. Et merci à notre commanditaire, l’Église Unie du Canada, qui n’est pas parfaite, mais qui essaie de répondre à ses obligations de ce côté-là.
Merci à toutes les personnes qui nous envoient des suggestions, qui sont plus faciles ou plus difficiles. Vous pouvez nous contacter à questiondecroire@gmail.com. Merci, Johan, pour cette conversation difficile. Merci Stéphane et à vous toutes et tous qui commencez cette année 2024, une très belle année, justement pleine d’éclats de rire, pleine de paroles qu’on se dit les yeux dans les yeux et en vérité sans avoir peur de retours désagréables. Au revoir. Au revoir.